Le tome 36 du Bulletin de la Commission royale fait, une fois encore, le grand écart chronologique : le lecteur passera en effet, au fur et à mesure de sa découverte des articles, du XIIIe au XXe siècle, en faisant un petit détour par les XVIe, XVIIIe et XIXe siècles.
Les ruines du château de Walhain-Saint-Paul, monument médiéval du Brabant wallon remontant au XIIIe siècle, ont fait l’objet de plusieurs campagnes de fouilles archéologiques depuis 1998, menées par l’Université catholique de Louvain en collaboration avec une université américaine de l’Illinois. En ce Moyen Âge troublé, Walhain constituait une des pièces du système de défense à la frontière entre le duché de Brabant et le comté de Namur. Après la Renaissance, le château devient avec le temps une simple résidence administrative. Resté en relativement bon état jusqu’au XVIIIe siècle, c’est une tempête qui le détruit presqu’entièrement dans les années 1790, époque où c’est plutôt la Révolution qui mettait à bas châteaux, églises et autres abbayes. Le XIXe et le début du XXe siècles voient le château, outrage suprême, réduit à l’état de carrière pour les habitants des environs. Alizé Van Brussel, assistante-doctorante en archéologie à l’Université catholique de Louvain, en collaboration avec Laurent Verslype, professeur dans cette même université, livre dans ce Bulletin une Étude des vestiges archéologiques de la haute-cour et de l’organisation des espaces à la période moderne.
Le Mont Saint-Martin à Liège est le prototype du quartier aristocratique dans une ville historique. Éperon surplombant le lit médiéval de la Meuse, le Publémont (nom historique de cette colline) est ponctué depuis le Moyen Âge de luxueux hôtels particuliers, où la noblesse et la haute bourgeoisie liégeoises se sont réfugiées durant plus de mille ans. L’hôtel van den Steen est un des plus importants tant par son ancienneté (le début de sa construction remonte aux années 1530) que par son ampleur et son intérêt architectural et historique. Son maître d’ouvrage initial était chanoine tréfoncier de Saint-Lambert et chancelier du prince-évêque Erard de la Marck, mais c’est avec la famille van den Steen, qui reste propriétaire durant plus de deux cents ans, que le bâtiment va connaître un développement important qui en fait, au XVIIIe siècle, un des plus grands hôtels particuliers de la ville. Dans sa contribution intitulée L’hôtel van den Steen à Liège. Évolution du bâti, Anne-Claire Olivier, ingénieur civil architecte, établit, sur base d’études préalables, historiques, archéologiques, stylistiques et sanitaires, une proposition de chronologie de l’évolution du bâti de ce monument complexe.
Le XIXe siècle a sublimé l’Art de vivre dans les habitations privées, notamment par le développement de serres, vérandas, jardins d’hiver et bow-windows adjoints à la construction elle-même, prolongeant ainsi l’espace de vie. Mathilde Junger, assistante-doctorante à la faculté d’Architecture de l’Université de Liège, dans son article XIXe siècle, la serre se greffe à l’habitat : récit d’un succès industriel dans une Belgique en révolutions, présente l’évolution en la matière, permise par les nouvelles techniques constructives issues de la révolution industrielle. La maîtrise nouvelle des métaux et du verre, ainsi que leur application structurelle, permet en effet de créer des espaces entièrement vitrés et chauffés, rendant ainsi possible d’ouvrir la maison sur le jardin sans tenir compte des saisons. Le succès du jardin d’hiver ira en grandissant tout au long du XIXe siècle et la serre devient un «accessoire» quasi incontournable des grandes demeures que se font bâtir l’aristocratie et la grande bourgeoisie, châteaux à la campagne et hôtels particuliers en ville. Plus tard, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, les architectes développent pour la nouvelle «classe moyenne», des espaces plus petits mais rendant le même service à l’habitation : ce seront les vérandas et bow-windows qui ponctueront les maisons bourgeoises en milieu urbain.
Depuis quelques années, les publications de la Commission royale ont présenté les réalisations de quelques architectes qui ont compté dans l’évolution vers la modernité. En 2006, c’étaient Arthur et Henri Snyers ; en 2009, c’était Paul Jaspar (publication spéciale couplée à une exposition) ; en 2016, c’était Jean et Joseph Moutschen ; en 2019, c’était Victor Louis Rogister et Charles Vandenhove (auquel un numéro du Bulletin a été totalement consacré) ; en 2020, c’était Auguste Castermans. Depuis la fin du XIXe jusqu’au dernier tiers du XXe siècle, tous ont contribué à une architecture urbaine de grande qualité, toujours plus en phase avec la société contemporaine façonnée par les progrès techniques et sociaux.
Emma Meunier, diplômée en Histoire de l’Art et Archéologie de l’Université de Liège, vient aujourd’hui ajouter une page à ce florilège d’architecture moderne, avec un article consacré à la Vie et [l’] œuvre de l’architecte Clément Pirnay (1881-1955). De 1898 à 1908, Pirnay est un collaborateur actif de Paul Jaspar, chef de file de l’Art nouveau à Liège. Il participe ainsi à de grands projets comme la salle La Renommée (1903) ou les Galeries liégeoises (1905). À la même époque, Pirnay devient ami avec l’architecte Paul Comblen et collabore également avec lui. Il commence néanmoins une production personnelle dès 1902, avec des maisons particulières à Verviers et à Spa, une salle de spectacle à Maastricht, suivies de réalisations à Liège et à Tongres. Mais c’est à Liège-ville que son style architectural personnel trouve le mieux son aboutissement. En 1910/11, il est l’auteur de projet du grand music-hall et cinéma Liège-Palace, dont les décors sont conçus par les frères Émile et Oscar Berchmans. C’est rue Dartois à Liège que va s’exprimer pleinement sa modernité, avec la construction de trois grandes maisons particulières, dont la sienne, située au n° 44 (1911). La maison Bacot, au n° 42, date de 1920 ; elle sera suivie en 1923 de la maison Alexis, au n° 31. L’utilisation du béton armé, tant pour la structure des bâtiments que pour leurs façades, devient alors une constante de l’architecture de Pirnay, ce qui ne va pas sans lui causer des difficultés avec les responsables des services de l’Urbanisme communal. Après la Guerre de 14-18, les premières sociétés de logement social voient le jour et c’est Clément Pirnay qui est choisi en 1922 par La Maison liégeoise pour la conception et la réalisation de deux vastes ensembles de logements, l’un dans le quartier du Laveu et l’autre sur le plateau du Tribouillet (Thier-à Liège). La fin de la carrière de l’architecte sera, à l’image de sa vie personnelle, nettement moins heureuse. Sa production s’arrête d’ailleurs totalement à la fin des années 30.
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