La thématique essentielle du tome 37 du Bulletin de la Commission royale est l’archéologie du bâti au sens large du terme. Trois articles sur les quatre publiés sont relatifs à l’analyse de biens de valeurs patrimoniales, d’époques et de typologies diverses, d’architecture religieuse, d’architecture civile et d’architecture militaire. Ceci témoigne une fois encore de l’importance que cette discipline a prise depuis une trentaine d’années comme science annexe de l’Archéologie et de l’Histoire, appui très opportun à l’élaboration d’un dossier de restauration de biens relevant du Patrimoine historique.
L’ancienne collégiale Saint-Denis à Liège, dont la fondation remonte à la fin du Xe siècle, fait partie des monuments religieux parmi les plus anciens du pays. On sait que Notger (940-1008), premier prince-évêque de Liège, avait décidé dès 987 d’intégrer la nouvelle collégiale à la première enceinte en pierre de la cité ; l’impressionnante tour de l’avant-corps en grès houiller faisait donc partie du système défensif de Liège. Il convient également de remarquer que la collégiale Saint-Denis conserve une des plus anciennes charpentes d’Europe, les analyses dendrochronologiques la datant de 1012-1019. François Remy, historien de l’art et archéologue, collaborateur scientifique à l’Université de Liège, publie dans ce Bulletin une très intéressante étude extraite de son mémoire de master, L’église Saint-Denis à Liège (Xe-XXe siècle) : adaptations et transformations d’un édifice d’origine ottonienne, analysant l’évolution à travers les siècles des différentes parties de l’édifice. Une importante bibliographie vient opportunément compléter l’article.
Pour être moins illustre, le cas de la maison « Libotte », située rue Fond Saint-Servais à Liège, n’en est pas moins exemplaire du recours à l’analyse archéologique du bâti dans le cadre d’un chantier de restauration initié en 2017. Mathieu Thonnard, historien de l’art et archéologue de l’Université de Liège, présente une analyse très fouillée de l’évolution d’un habitat bourgeois typique des villes médiévales : La maison Libotte à Liège, étude archéologique du bâtiment. Le Fond Saint-Servais, situé à un jet de pierre du palais des princes-évêques, était déjà largement urbanisé au XIIIe siècle. Classée comme monument depuis 1988, la maison « Libotte » a donc été précédée d’une autre habitation qui a presque totalement disparu dans les flammes allumées par les troupes bourguignonnes de Charles le Téméraire, lors du sac de la cité en octobre 1468. La maison, reconstruite vers 1483, était dotée d’une façade gothique (disparue) avec un mur mitoyen et un mur de refend en pans-de-bois (partiellement modifiés depuis). La très belle façade en pierre (calcaire et tuffeau) que l’on peut admirer aujourd’hui date du dernier tiers du XVIIe siècle (1659-1693). Ornée de panneaux finement sculptés, au décor de feuilles d’acanthe, grappes de raisins, rosaces, feuilles d’olivier et gerbes d’épis, la façade recèle les armoiries et le monogramme de Jean-Lambert Libotte, avocat à l’Officialité, propriétaire des lieux de 1659 à 1721 et commanditaire des travaux.
L’article de Céline Sitarski, historienne de l’Université Libre de Bruxelles, La topographie et l’adaptation de l’enceinte de Binche à l’artillerie au milieu du XVIe siècle, plonge le lecteur dans cette sinistre époque qui vit les anciens Pays-Bas servir de champs de bataille pour les guerres opposant les rois de France aux rois d’Espagne. La ville de Binche, qui se trouvait alors aux avant-postes, était dotée d’une enceinte depuis le XIIIe siècle ; celle-ci fut modifiée et rénovée à plusieurs reprises aux XIVe et XVe siècles. Un premier siège par les troupes du futur Henri II de Valois en 1543 aurait dû donner l’alerte quant à la vétusté des remparts face aux dernières innovations de l’artillerie. Marie de Hongrie, alors gouvernante des Pays-Bas espagnols, s’en inquiétait, mais il fallut dix ans avant que les autorités de la Ville de Binche, désargentées, ne se décident à agir. Ce n’est en effet qu’en 1554 que sont lancés des travaux d’adaptation, censés garantir une meilleure capacité de défense de l’enceinte face à la puissance de l’artillerie moderne. En juin 1554, Henri II reprend l’offensive contre les troupes de Charles Quint. Malgré l’ampleur des travaux, il détruit facilement le 21 juillet suivant, avec ses nombreux canons, les remparts de la ville qui est ravagée par l’incendie. Le magnifique palais de Marie de Hongrie est totalement détruit et ne sera jamais reconstruit. L’auteur passe en revue tous les éléments de l’enceinte (portes, tours, échauguettes, boulevards, remparts, etc.) qui ont vainement fait l’objet des travaux de 1554 et dont il reste des vestiges de grand intérêt.
La Wallonie, comme du reste l’ensemble du royaume de Belgique, est ponctuée de bâtiments néogothiques, tant en milieu urbain qu’en milieu rural. Architecture religieuse, architecture civile, aussi bien publique que privée, tous les types de constructions sont représentés. C’est tout le XIXe siècle et les premières années du XXe siècle qui ont vu fleurir ce style directement inspiré de l’architecture de la fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance. Initié dès la fin du XVIIIe siècle en Angleterre, il devient à la mode sur le continent avec la Restauration et le Romantisme dans les années 1820-1830 et prend un développement plus important encore à partir des années 1840 jusqu’à la fin du siècle. Thomas Greck, architecte issu de l’Université Libre de Bruxelles, propose une étude sur Les enseignements du néogothique en Wallonie : évolutions, significations et destins d’un mouvement, sur base de son mémoire de master. L’auteur présente quelques-unes des grandes réalisations de cette époque, comme par exemple, le superbe château des Mazures (Pépinster), conçu en 1837-38 par l’architecte Auguste-Marie Vivroux pour la famille de Biolley de Verviers, malheureusement démoli au début des années 70, ou encore le château de Moulbaix (Ath), conçu en 1860 par l’architecte Désiré Limbourg pour la famille bruxelloise de Chasteler, toujours conservé, classé comme monument par arrêté du Gouvernement wallon du 9 juin 2000 et dont la restauration est en cours. Longtemps méprisé par les architectes, le style néogothique a retrouvé ses lettres de noblesse depuis une trentaine d’années ; plusieurs bâtiments emblématiques ont fait l’objet de classements comme monument, comme les Grand-Postes de Verviers et de Liège, le château du Faing à Jamoigne ou le charbonnage du Hasard à Cheratte.
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